La perte du seul client de la société constitue-t-elle une faute de gestion ?
Une simple négligence dans la gestion de la société, comme le fait d’avoir manqué de vigilance en engageant la société dans une activité reposant sur un seul client, sans trouver de moyen de garantir la pérennité des relations commerciales, ne peut suffire à engager la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif (Cass. com. 13.04.2022 n° 20-20137).
Les faits
Une société a procédé à de lourds investissements à la demande de son seul et unique client, afin d’adapter sa capacité de production aux demandes de ce dernier, dans un secteur d’activité et à une période où elle pouvait légitimement croire à son expansion.
Son client a brutalement rompu, à sa seule initiative, leurs relations commerciales.
La société, à la suite de la perte de son seul client, a été mise en liquidation judiciaire. Le liquidateur a alors recherché la responsabilité pour insuffisance d’actif du dirigeant, estimant que celui-ci avait manqué de vigilance en engageant la société qu’il dirigeait dans une activité reposant sur un client unique, sans trouver le moyen de garantir la pérennité des relations commerciales. La cour d’appel lui a donné raison, ce que le dirigeant conteste devant la Cour de cassation.
La décision du juge
Le juge rappelle que la responsabilité du dirigeant de droit ou de fait au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée en cas de simple négligence dans la gestion de la société, et qu’un manquement de vigilance – à le supposer avéré – ne peut tout au plus constituer qu’une négligence non susceptible de caractériser une faute de gestion du dirigeant.
Il ajoute qu’un cocontractant est libre de mettre fin aux relations commerciales entretenues avec un partenaire commercial, dès lors qu’il respecte un préavis et que le partenaire n’a donc aucun moyen d’influer sur la décision de rompre prise par son cocontractant.
Il relève par conséquent que le fait, pour un dirigeant, d’avoir engagé sa société dans une activité reposant sur un seul client, sans trouver de moyen de garantir la pérennité des relations commerciales, constituait une simple négligence dans la gestion de la société.
Il décide donc que, en l’absence de faute de gestion, la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif devait être écartée (Cass. com. 13.04.2022 n° 20-20137) .
Une faute ou une négligence ?
La responsabilité du dirigeant engagée en cas de faute de gestion… Aux termes de l’article L 651-2 du Code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.
Exemples de fautes de gestion. Tout acte ou omission commis par un dirigeant, quand il ne concourt pas à l’intérêt social de l’entreprise, peut relever d’une faute de gestion. On vise ainsi tant les actes de type frauduleux, tels qu’une comptabilité incomplète ou des formalités juridiques non remplies, que les choix incongrus, tels que des orientations stratégiques, la persistance à continuer une activité déficitaire ou l’absence de convocation des associés en cas de perte de la moitié du capital social.
… mais écartée en cas de simple négligence. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. Comme jugé ici, le fait d’avoir manqué de vigilance en engageant la société dans une activité reposant sur un seul client, sans trouver de moyen de garantir la pérennité des relations commerciales, constitue une simple négligence, et non une faute de gestion.
Source : Editions Francis Lefebvre